Texte extrait de mon carnet de note, écrit pendant une sortie en chalutier


22h28, le 13 avril 2022

Cela fait deux heures que nous sommes sur l’eau. On file avec la mer et le temps nous emporte.
Huis clos hors temps dans la nuit noire.

Bruits. Cris. Paroles incompréhensibles. Cohésion. Moteur. Essence. Sueur. Contemplation. Silence.

On pourrait avoir l’impression d’être loin, d’être sur un trajet de longue distance, mais nous sommes tout près de le côte et nous tournons en rond. C’est tout de même un voyage.
Ce soir c’est chalut. L’organisation est impressionnante, dangereuse. Celle-ci aboutie à la mise à l’eau du filet, longue entraille qui va tout engloutir sur son passage au fond de la mer.

C’est beau à quel point c’est paradoxal, tout se rencontre, ou plutôt tout rentre en collision.

Bruit et silence. Délicatesse et brutalité.

Tout est une question de précision, pas le droit à l’erreur.
1h d’attente environ pour chaque trait. Y’a le temps de contempler, ou comme dirait Gabin, “fumer pleins de clopes”.
L’organique se confronte à la ferraille, à la graisse, c’est une chimie tout autant qu’une mécanique. Le sang de la bête qui nous porte se mélange au sang des bêtes qu’elle dévore sur son passage.

Des duos paradoxaux qui prennent sens ici au large. 

C’est une mutation.

On a 12h devant nous. De quoi avoir le temps de refaire le monde. Je les entends commérer dans la passerelle. Là-haut, c’est le petit coin de confort.

Gabin me dit qu’il n’a que 17ans. Motivé et prêt à tout. Il adore ça, c’est une histoire de famille, ça coule dans l’sang. Trop de choses à découvrir et il a raison. C’est frénétique, le corps ne peut que vibrer avec cette adrénaline que la machine propulse sur son passage.

Le chalut monte. Il est minuit.
Telle une traînée de mariée qui après son passage sur l’eau remonte milles merveilles. Puis, suspendue sur le pont comme un intestin, se vide. Maintenant il faut trier le chaos vrombissant. J’imagine le cri de tous ces êtres condamnés, ça glisse, ça s’enfuit, c’est la panique. Carnage.

Attente. Sommeil. Tout et rien. Lumière néon et fumée de clopes.

05h00.
On a dormi. Enfin presque, on s’est fait happer par le bercement du moteur. Et toujours ces heures qui passent qu’on ne compte pas. Mauvaise pêche, 5 fois moins que prévu.
La nuit sombre nous entoure. Et la, on entame la pêche à la coquille. Ça tape, comme sur des punching ball, c’est le défouloir ultime.

06h00. 

La lune nous frappe de plein fouet, son rayon lumineux coule sur la surface de l’eau et on tourne autour d’elle. C’est une danse.

08h25. 

Le soleil se lève, comme si c’était la première fois sur terre et demain, on y pense pas, car tout recommencera.

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